Interprète fétiche de Francis Poulenc, la soprano Denise Duval qui vivait en Suisse près de Lausanne depuis ses adieux à la scène en 1965, nous a quitté le 26 janvier dernier à l’âge de 94 ans. Sorte de double féminin de Poulenc, – « Tu représentes exactement ce que j’aurais voulu être si j’avais été femme ! » – sans laquelle il serait resté sans voix,  Denise Duval a été plus que la simple interprète du compositeur, de l’aveu même de ce dernier, elle en est l’inspiratrice puisqu’il affirme composer  « pour Duval et l’orchestre ».

Denise Duval est née le 23 octobre 1921 à Paris, elle se forme au Conservatoire de Bordeaux, elle fait ses débuts dans Cavalleria rusticana au Grand Théâtre de Bordeaux puis passe une partie de sa vie professionnelle comme meneuse des revues classiques aux Folies-Bergère. C’est là que Georges Hirsch la repère et l’intègre à la troupe de l’Opéra Comique. Elle chante Madame Butterfly, Tosca et bien d’autres rôles titres encore dont une magnifique Mélisande dans Pelléas et Mélisande de Debussy au Festival de Glyndebourne avec le Royal Philharmonic Orchestra sous la direction de Vittorio Gui.

Poulenc, à la recherche d’une cantatrice capable d’endosser avec fougue le futur rôle de Thérèse dans Les Mamelles de Tirésias, est séduit par sa présence sur scène et y voit le signe d’un tempérament fort. Il avait enfin trouvé, en février 1947, l’oiseau rare  « ayant de l’abattage et du cran » « une Duval INOUIE » audacieuse et qui sera capable de narguer « de la scène la cabale du second balcon» lors de la création de l’œuvre à l’Opéra Comique.

 Même si Cocteau, auteur du livret et metteur en scène de la Voix humaine (1958), est séduit par sa « voix de métal, toute droite et sans faiblesse. La trompette de l’ange », ce sont ses qualités de tragédienne accomplie, qui le fascine : « Nous avons, Poulenc et moi, refusé les cantatrices. Nous voulions une grande comédienne qui articule et qui joue. Or, Madame Duval ne remporterait pas les triomphes qu’elle remporte si elle n’était qu’une voix. C’est sa précision et sa féminité qui touchent. Ni la Tebaldi ni la Callas ne pouvaient jouer ce rôle d’oiseau blessé par le chasseur invisible».

Ce sont aussi ses compétences de tragédienne qui ont permis à Denise Duval de se glisser dans la peau de Blanche de la Force, rôle titre de l’opéra de Poulenc, Le Dialogue des Carmélites (1953), une commande de la Scala de Milan sur un texte de Bernanos. La chanteuse s’est immergée dans l’atmosphère monacale du couvent de Compiègne pour s’approprier toute la gestuelle et les manières d’être imposées par la règle des moniales. Une expérience très forte pour la chanteuse qui explique que c’est ensuite la musique qui a fait le reste : « Avec elle, je suis entrée dans le personnage, je l’ai avalé comme elle m’a avalée, j’ai éprouvé son mysticisme peu à peu. Poulenc m’a appris à me placer au bord de moi-même, à regarder au fond de moi pour exprimer ce que j’avais tendance à cacher. J’ai porté Blanche autant qu’elle m’a porté ».

A-t-elle pris goût à cette ascèse pour ainsi fuir le monde après une représentation de la Voix Humaine à Buenos Aires, en 1965,  au cours de laquelle elle perdit sa voix, deux années après la mort de F. Poulenc ? Ce vœu de silence, elle consentit à le rompre à deux reprises pour tourner avec Dominique Delouche, réalisateur,  deux  films, l’un en 1970 dans lequel elle accepte de jouer son propre rôle dans La voix humaine sur sa propre bande son et le second  La voix retrouvée en 1998 autour de la transmission de cette œuvre auprès de la soprano Sophie Fournier accompagnée au piano par  Alexandre Tharaud.

« Denise Duval est morte, je suis Madame X » se plaisait-elle à rétorquer quand quelqu’un évoquait devant elle sa carrière. Aujourd’hui,  c’est Madame X qui s’efface pour laisser la place à Denise Duval.

(Les citations sont tirées du livre Francis Poulenc de Hervé Lacombe chez  Fayard)